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| Les mémoires de Louis-Philippe | |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Mer 21 Oct - 14:54 | |
| Yes !
Dans la suite de ses Mémoires, Louis-Philippe parle de la grande peur mais aussi de la réaction de Mme de Genlis. Comme quoi, c’est une chose de prôner la révolution et c’est une autre chose de la vivre . D’après ce qu’il en écrit, je ressens comme une certaine lâcheté en elle, lâcheté dans le sens de fausseté. Mais dans ce cas, pourquoi a-t-elle si peur ? Elle devraît être contente de vivre ce pour quoi elle a toujours lutté, espéré, souhaité ! Il y a là quelque chose de bizarre et de pas naturel !
Voici ce qu’il écrit : « Cette alarme ( la grande peur ) effraya d’abord Mme de Genlis ; cependant , elle s’en remit promptement ; mais les décrets du 4 août renouvelèrent ses inquiétudes. Elle ne voulut plus rester à Saint Leu et revint à Paris presque immédiatement . Il est certain que ces décrets qu’on appelait des Arrêtés produisirent une très grande sensation parmi les paysans. On devait s’y attendre puisque le but général de ces décrets était l’abolition des droits féodaux , et celle des privilèges pécuniaires du clergé et de la noblesse. Cette abolition subite et presque inattendue , occasionna une secousse terrible ; ce fut le signal de l’incendie et de la dévastation des châteaux dans les provinces , et ces horribles scènes durèrent plusieurs mois. «
Louis-Philippe explique cette suppression des privilèges par le système du pessimisme. Voici ce qu’il écrit à ce sujet : « Ce système consistait à pousser leurs adversaires ( en parlant des députés entre eux ) à adopter des mesures extravagantes dans l’espoir qu’elles seraient inexécutables et qu’elles amèneraient cette anarchie et cette confusion générale, que bien des gens avaient la folie de considérer comme devant conduire au rétablissement de l’autorité absolue, et à celui de ces mêmes droits et de ces mêmes privilèges dont ils venaient de provoquer eux-mêmes l’abolition. » Curieux système tout de même !
Quelques soient les événements , Mme de Genlis réagit toujours par la peur. Louis-Philippe écrit : « De retour à Paris, les inquiétudes de Mme de Genlis ne se calmèrent pas, et elle voulut trouver près de la ville une maison qui en fût assez rapprochée pour ne courir aucun risque par l’isolement à la campagne, et qui en fût en même temps assez éloignée pour qu’on n’eût rien à y craindre des émeutes populaires, qui dans le fait n’étaient que trop probables à cette époque. La maison de M . De Boulainvilliers à Passy réunissait ces deux avantages ; mon père lui fit demander s’il voulait la louer : il s’y refusa, mais offrit de la prêter , et on accepta. Nous allâmes nous y établir à la fin d’août. On a répandu depuis que Mme de Genlis avait pris cette maison pour conduire des intrigues , et qu’elle y tenait des conciliabules ; cela est entièrement faux . Elle n’avait certainement pas d’autres motifs que ceux dont j’ai parlé, jamais elle n’a vécu aussi retirée qu’alors. Mon père même ne venait pas la voir souvent. M. de Sillery qui était très assidu à Versailles aux séances de l’Assemblée, n’y venait que tous les dimanches, parce qu’alors il n’y avait pas de séance ces jours là. M. Ducrest , frère de Mme de Genlis , n’y vint que deux ou trois fois, pendant près de six semaines que nous passâmes à Passy, et M . De La Touche Fréville , chancelier de mon père , y vint une seule fois. On répandit alors des bruits si absurdes sur ce qui se passait à Passy , que ces détails sont gravés dans ma mémoire , et je garantis leur authenticité. »
Que vous inspire l’attitude de Mme de Genlis ? |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Mer 21 Oct - 15:03 | |
| - Madame de Chimay a écrit:
- Yes !
Louis-Philippe explique cette suppression des privilèges par le système du pessimisme. Voici ce qu’il écrit à ce sujet : « Ce système consistait à pousser leurs adversaires ( en parlant des députés entre eux ) à adopter des mesures extravagantes dans l’espoir qu’elles seraient inexécutables et qu’elles amèneraient cette anarchie et cette confusion générale, que bien des gens avaient la folie de considérer comme devant conduire au rétablissement de l’autorité absolue, et à celui de ces mêmes droits et de ces mêmes privilèges dont ils venaient de provoquer eux-mêmes l’abolition. » Curieux système tout de même !
? Qu'est-ce que c'est que ce raisonnement par l'absurde ??? J'aimerais bien que fiston m'explique, s'il pouvait !!!! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Mer 21 Oct - 15:43 | |
| - Madame de Chimay a écrit:
- Yes !
Quelques soient les événements , Mme de Genlis réagit toujours par la peur. Louis-Philippe écrit : « De retour à Paris, les inquiétudes de Mme de Genlis ne se calmèrent pas, et elle voulut trouver près de la ville une maison qui en fût assez rapprochée pour ne courir aucun risque par l’isolement à la campagne, et qui en fût en même temps assez éloignée pour qu’on n’eût rien à y craindre des émeutes populaires, qui dans le fait n’étaient que trop probables à cette époque.
Que vous inspire l’attitude de Mme de Genlis ? En fait, Genlis était partie depuis des mois, avec Adélaïde (soeur de Chartres), qu'elle avait emmenée outre-Manche, sous le pretexte de parfaire son anglais, mais en réalité, comme vous le dites, chère Princesse, parce qu'elle craignait pour leurs vies . Or, l'Assemblée ayant décrété les émigrés hors la loi et passibles de mort s'ils rentraient en France, Egalité prit peur pour sa fille . Mais, au lieu de se dire qu'elle était en lieu sûr à l'étranger, il n'eût de cesse de la faire rentrer le plus vite possible afin qu'elle ne passe pas pour émigrée. ( Il a des manières de raisonner confondantes, l'animal !!!! ) Si bien que Genlis se trouva contrainte et forcée de regagner Paris, ce qu'elle fit la peur au ventre ! Adélaïde et sa gouvernante rentrèrent en France le 20 novembre 92 . Aussi sec, toutes les deux étaient arrêtées et conduites à l'hôtel de ville . Egalité se décarcassa pour obtenir leur libération provisoire contre la promesse de les faire sortir du territoire sous cinq jours ! C'était bien la peine de les faire rentrer !!! Genlis donna sa démission et se mura dans une attitude d'hostilité . Egalité la supplia . Elle consentit à continuer de veiller sur Mademoiselle . Sur ce, le duc s'en fut plaider à la tribune de la Convention en faveur de sa fille, expliquant l'avoir envoyée en Angleterre pour raisons de santé, pour apprendre la langue, et pour la soustraire à la mauvaise influence de sa mère aux idées réactionnaires ! Chartres devait accompagner sa soeur et Genlis à Tournai . Orléans restait à Paris avec ses deux autres fils, Montpensier et Beaujolais ( tiens ! que sont-ils devenus, ces deux-là ??? ) Egalité n'allait plus jamais revoir Adélaïde, Chartres et leur gouvernante . |
| | | Chou d'amour Administrateur
Nombre de messages : 31526 Age : 42 Localisation : Lyon Date d'inscription : 22/05/2007
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Mer 21 Oct - 16:04 | |
| - Citation :
- Qu'est-ce que c'est que ce raisonnement par l'absurde ??? J'aimerais bien que fiston m'explique, s'il pouvait !!!!
Oui moi aussi j'aimerais bien _________________ Le capitalisme c'est l'exploitation de l'homme par l'homme. Le syndicalisme c'est le contraire!
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Mer 21 Oct - 23:06 | |
| D'après Louis-Philippe," le vicomte de Noailles passe pour être l'auteur de ces fameux décrets , parce en effet, la première proposition fut faite par lui. Je ne me rappelle pas ce qu'il proposa , mais je me rappelle fort bien qu'il fut suivi par un grand nombre de députés du clergé et de la noblesse du parti opposé qui renchérirent sur sa proposition par d'autres plus absurdes encore, en sorte qu'ils opérèrent eux-mêmes leur spoliation. Il serait difficile d'expliquer cette folie autrement que par le système du pessimisme".
Voilà, je n'en sais pas plus que vous. Peut-être faut-il chercher des traces chez le Vicomte de Noailles.
En ce qui concerne les frères de Louis-Philippe , ils ont été emprisonnés sous la terreur. Et j'ai dans ma bibliothèque un livre qui s'intitule : Ma captivité pendant la Terreur : Mémoires par le Duc de Montpensier Tallandier, 2009, 19 euros. Mais je ne l'ai pas encore lu ! |
| | | Chou d'amour Administrateur
Nombre de messages : 31526 Age : 42 Localisation : Lyon Date d'inscription : 22/05/2007
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Mer 21 Oct - 23:16 | |
| Merci Madame de Chimay C'est quand même fou, et à la fois révélateur, que ces deux là ne puissent même pas concevoir que des nobles aient pris l'initiative d'abolir certains de leurs privilèges d'eux même sans arrières pensées. C'est à dire que les Orléans n'avaient strictement rien compris aux idées nouvelles et aux souhaits populaires...et après ils osent parler de souveraineté du peuple A les lire je suis encore plus persuadé que la Révolution était nécessaire... _________________ Le capitalisme c'est l'exploitation de l'homme par l'homme. Le syndicalisme c'est le contraire!
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Jeu 22 Oct - 9:10 | |
| - Madame de Chimay a écrit:
- En ce qui concerne les frères de Louis-Philippe , ils ont été emprisonnés sous la terreur. Et j'ai dans ma bibliothèque un livre qui s'intitule : Ma captivité pendant la Terreur : Mémoires par le Duc de Montpensier
Tallandier, 2009, 19 euros. Mais je ne l'ai pas encore lu ! Cela oui, je le sais, ainsi que leur mère du reste, mais après ? |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Jeu 22 Oct - 10:44 | |
| J'avoue que je n'en sais trop rien. Je crois que la santé de ces deux frères a été altérée pendant leur captivité . Ce qui est certain est que la descendance actuelle de la Maison d'Orléans est issue du sang de Louis-Philippe . |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Jeu 22 Oct - 11:04 | |
| Louis-Philippe de même que Mme de Genlis ont un grand désir d’observer la scène politique. Il écrit à ce sujet : « Mme de Genlis avait envie de voir l’Assemblée nationale , et j’avais un grand désir d’en suivre les séances. Elle nous y mena un jour dans la tribune des députés suppléants. Ces messieurs voulurent bien consentir à nous admettre dans leur tribune toutes les fois que nous voudrions assister à la séance, et nous y allâmes fréquemment avec M. Lebrun , tant que l’Assemblée se tint à Versailles.
Louis-Philippe donne ensuite dans des considérations générales sur l’aspect pratique de la salle, sur les applaudissements ( " la manie des applaudissements a été constamment le faible de toutes les assemblées françaises et elles ne s’embarrassaient guère de qui les leur prodiguait pourvu qu’elles en obtinssent " ). Ensuite , il entre dans la description des débats proprement dits.
Je vous en réserve la primeur pour toute à l’heure . Nous en apprendrons plus sur le fonctionnement de l'Assemblée ! |
| | | Chou d'amour Administrateur
Nombre de messages : 31526 Age : 42 Localisation : Lyon Date d'inscription : 22/05/2007
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Jeu 22 Oct - 11:06 | |
| Merci à vous J'ai pu découvrir pas mal de choses sur ces assemblées en lisant Bailly et Walter et je suis curieux d'avoir le point de vues de Louis-Philippe _________________ Le capitalisme c'est l'exploitation de l'homme par l'homme. Le syndicalisme c'est le contraire!
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Jeu 22 Oct - 12:59 | |
| J'y arrive ,Chou . Juste le temps de taper mon texte sur word et de faire un copier coller. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Jeu 22 Oct - 14:00 | |
| Louis-Philippe écrit : " Les débats de l’Assemblée pouvaient se considérer comme étant divisés en deux classes . La première se composait des débats sur les grandes questions constitutionnelles , ou sur celles qu’on voulait discuter dans toutes les formes. La seconde, au contraire se composait des débats qui s’élevaient après la clôture des discussions sur les grandes questions , et de ceux qui s’engageaient sur ce qu’on regardait comme des affaires de circonstance. Les débats de la première classe n’étaient guère qu’une série de lectures.
Il se formait sur le bureau de l’Assemblée , une liste à deux colonnes où les membres qui voulaient parler, allaient se faire inscrire en annonçant s’ils parleraient pour ou contre , et le président accordait successivement la parole d’après cette liste , et alternativement , aux orateurs des deux colonnes. En sorte qu’on n’entendait jamais de suite deux orateurs du même avis : chacun de ces orateurs montait à la tribune avec son discours écrit dans sa poche , et souvent ces débats ressemblaient plus à un exercice de collège qu’à une véritable discussion : peu à peu , plusieurs orateurs s’habituèrent à parler ex tempore mais cependant aucun ne parlait sans notes. Ce genre de discussion interdisait donc le véritable débat parce que les discours étaient composés d’avance , on ne pouvait pas répondre et réfuter immédiatement les arguments de ses adversaires. Ces lectures pompeuses duraient aussi longtemps que la patience de l’Assemblée le permettait : on ne manquait jamais d’orateurs. Il est vrai que la patience de l’Assemblée n’était pas grande ; et je ne crois pas qu’aucune discussion de ce genre ait jamais occupé plus de quatre séances. Je crois même qu’aucune discussion n’a duré aussi longtemps après que l’Assemblée fut établie dans la salle du Manège. Les questions étaient emportées comme une ville prise d’assaut : ce mot était consacré.
Quand l’Assemblée croyait avoir entendu assez d’orateurs pour qu’on ne pût plus lui reprocher d’avoir décidé légèrement ( car je crois que ce reproche était un de ceux qu’elle craignait le plus , parce que souvent elle le méritait ) elle fermait la discussion , et c’est alors que commençait l’autre sorte de débats qui étaient bien plus réels que les premiers. Ce moment était risible par la douleur des malheureux qui après avoir bien travaillé à composer un discours , se voyaient forcés à le laisser dans leur poche ; mais ils s’en vengeaient ordinairement en le faisant imprimer. La clôture de la discussion était toujours le commencement d’une tempête, parce que c’était le moment où l’Assemblée allait exercer sa puissance et par conséquent celui où les passions s’allumaient ; c’était en fait le seul moment dont on s’embarrassât ; d’ailleurs, comme alors chaque orateur répondait à celui qu’on appelait le préopinant en langage d’Assemblée nationale, et qu’il n’y avait plus de discours écrits , on y mettait , par cela seul , beaucoup plus de véhémence , et les différents partis s’accablaient de sarcasmes. C’est ce qui faisait que les débats les plus animés ne commençaient qu’après la clôture de la discussion, parce qu’alors les lectures cessaient , et que les débats devenaient une sorte de conversation. Quelques détails achèveront d’éclaircir cela.
Aussitôt que l’Assemblée avait fermé la discussion , elle procédait à accorder la priorité à un des projets de décret qui lui avaient été proposés : c'est-à-dire que l’Assemblée décidait quel serait celui des projets de décret que le président mettrait aux voix article par article. Quand ce choix était fait , alors chaque parti s’efforçait de modifier ce projet selon ses vues , en faisant adopter sur le considérant et sur chaque article successivement des amendements, et des sous-amendements ou amendement d’amendement. On doit sentir combien il résultait de bigarrures et de contradictions , de cette manière de faire des décrets. C’est ce que les Décrets de l’Assemblée nationale ont souvent mieux développé que tout ce qu’on pourrait dire sur ce sujet.
Il y avait encore une autre espèce de débats spontanés , et par conséquent orageux. C’était sur les motions incidentes ; c'est-à-dire relatives aux affaires du moment. Leur but était presque toujours d’attribuer à l’Assemblée un pouvoir qu’elle n’avait pas légalement , et que par conséquent, elle n’aurait pas dû exercer. Il est encore nécessaire de remarquer que les séances du soir étaient presque toujours orageuses. Les hommes font plus de bruit après dîner qu’à jeun. Ce fut dans ses séances que l’Assemblée se laissa entraîner aux plus grandes inconséquences.
La ligne de démarcation des divers partis de l’Assemblée n’était pas si apparente qu’elle l’a été depuis : ils étaient encore confus en septembre 1789, ou plutôt la division des partis était différente dans ce temps là, de ce qu’elle a été après que l’Assemblée a été transférée à Paris. Ceux des députés de la noblesse et du clergé qui s’étaient opposés à la réunion des Ordres , formaient le parti qu’on appela Aristocrates ; dénomination qui aurait mieux convenu aux partisans du système des deux chambres. Dans le fait, on aurait dû appeler Royalistes absolus, ceux qu’on nommait Aristocrates ; mais à cette époque , où chaque parti se glorifiait encore d’être royaliste, les partisans de la Révolution craignaient que ce nom de royalistes ne fût donné exclusivement à leurs adversaires , et par la dénomination d’aristocrates , ils voulaient habituer le public à les considérer , comme défendant obstinément leurs privilèges au détriment des vrais intérêts du Roi et de ceux du peuple, et s’opposant à toute réforme quelconque. Ce parti était très fort dans l’Assemblée , et beaucoup plus puissant qu’on ne le croyait en général, car la moindre division parmi leurs adversaires, leur donnait la majorité.
Le parti des deux Chambres a toujours été faible et peu nombreux. C’est une chose que la postérité aura peine à croire , que le plus grand nombre des députés du clergé et de la noblesse qui avaient voulu maintenir la séparation des Ordres ait voté pour que le corps législatif ne fût composé que d’une seule Chambre ! ….J’étais présent à cette mémorable et funeste décision. Il y eut plus de votants que sur aucune autre question . Ils étaient 1082 , si ma mémoire me sert bien , dont 872 se déclarèrent pour une seule Chambre , 88 pour deux et 122 refusèrent de donner leurs voix en répondant qu’ils n’avaient point d’avis sur cette grande question. Il est impossible d’expliquer autrement cette bizarrerie que par le système du pessimisme dont j’ai déjà parlé à l’occasion des Décrets du 4 août . La Cour craignait que les deux Chambres ne se consolidassent , en se modérant réciproquement , et qu’elles ne fussent plus difficiles à détruire qu’une seule. Le parti populaire craignait que la division du Corps législatif en deux Chambres ne diminuât sa force , et ne paralysât ses opérations.
Le parti des deux Chambres ne survécut pas aux événements du 5 octobre. MM de Lally, Mounier et Bergasse , quittèrent alors l’Assemblée et MM de Clermont Tonnerre , Malouet etc qui y restèrent , se trouvaient la plupart confondus dans le parti des royalistes absolus, tandis que les autres se réunirent au parti qui votait avec M. de La Fayette, et siégèrent à son côté. Le reste de l’Assemblée était divisé seulement par des nuances qui ne devinrent tranchantes que postérieurement au 5 octobre. Il est temps de parler des causes qui provoquèrent le mouvement populaire de cette journée. " |
| | | Chou d'amour Administrateur
Nombre de messages : 31526 Age : 42 Localisation : Lyon Date d'inscription : 22/05/2007
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Jeu 22 Oct - 14:53 | |
| Merci pour tout Madame de Chimay Tous ces détails sont cohérents avec ce que j'ai pu lire en effet Je vois que Louis-Philippe a bien observé, à défaut d'y participer _________________ Le capitalisme c'est l'exploitation de l'homme par l'homme. Le syndicalisme c'est le contraire!
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Ven 23 Oct - 19:24 | |
| Louis-Philippe parle des causes possibles des journées révolutionnaires des 5 et 6 octobre. Tout d’abord , il explique la présence du régiment de Berwick. Voici ce qu’il écrit : « Le régiment de Berwick était un régiment irlandais formé par Jacques second, et qui portait encore un uniforme rouge avec des revers noirs. Le Roi avait fait venir à Versailles ce régiment pour remplacer les Gardes Françaises qu’il avait licenciés, et faire le service auprès de sa personne. Ce motif paraissait très naturel , c’était au moins un excellent prétexte pour garder un régiment d’infanterie de ligne à Versailles où il n’y en avait pas ordinairement. Mais le régiment de Berwick donna de l’inquiétude à l’Assemblée et même à Paris. On se plaignit que le Roi eût auprès de lui un régiment étranger et qu’il s’entourât d’habits rouges. Il y avait une autre cause à ces plaintes ; le régiment de Berwick était attaché au parti de la Cour , et aurait fait tout ce que le Roi aurait voulu. Il a émigré depuis en totalité. Cependant, le Roi n’osa pas le garder à Versailles et il y fit venir à sa place le régiment de Flandres dont le colonel M. de Lusignan , était un des 47 députés de la noblesse qui s’étaient réunis les premiers à l’Assemblée du Tiers, et votait presque toujours avec la majorité de l’Assemblée nationale. Ce choix était très prudent , quant au colonel dont les opinions ne pouvaient causer aucune inquiétude à l’Assemblée ou à Paris. Mais M. de Lusignan étant député, ne pouvait pas prendre le commandement de son régiment, dont les officiers professaient les opinions qui plaisaient à la Cour, mais qui inquiétaient Paris et l’Assemblée.
Le premier octobre , les Gardes du Corps donnèrent un repas de corps aux officiers du régiment de Flandres. Je ne sais si tout ce qui s’y passa était prémédité, mais on y fit bien des imprudences. Notamment , la cocarde nationale fut foulée aux pieds ( ce fait a été nié , et je n’en réponds pas , quoique je le croie au moins probable ) et les mouchoirs furent déchirés pour en faire des cocardes blanches. Ce festin donna beaucoup d’ombrage au parti populaire , on le regarda à Paris comme un signal de contre-Révolution. Malheureusement , ce n’était pas le seul qu’on crut apercevoir , et ces craintes augmentaient infiniment la fermentation. Bien des causes se réunissaient alors pour l’entretenir ; d’abord, la disette du blé , source certaine de fermentation populaire, continuait à se faire sentir d’une manière très alarmante.
2°-La liberté ou licence de la presse, depuis le 14 juillet avait inondé Paris et le Royaume d’une foule de journaux , pamphlets et de libelles qu’on continuait à lire avec autant d’avidité que s’ils avaient été encore défendus. Ces différents ouvrages échauffaient les têtes , les portaient à l’exagération ; les personnalités n’étaient pas épargnées , et plus les ennemis de la Révolution s’efforçaient de persuader à la nation que le Roi allait reprendre son autorité absolue , plus il devenait facile à leurs adversaires d’exciter le peuple contre eux , de lui faire voir des conspirations partout, même dans les combinaisons les plus naturelles et les moins suspectes, et de le pousser ainsi à commettre les excès les plus répréhensibles. Ce fut à cette époque , au mois de septembre 1789 , que Marat , l’Ami du Peuple ( nom du journal de Marat), commença à imprimer ce qu’il a répété tant de fois , que La Révolution ne serait complète et indestructible , que quand on se serait débarrassé de 200 000 têtes qui travailleraient continuellement à opérer la contre-Révolution.
3°-La crainte que Le Roi ne s’éloignât de l’Assemblée , ne se retirât à Metz ou ailleurs, au milieu de ses troupes , et que de là, il ne parvint à faire la contre-Révolution , était une autre cause d’alarme , et par conséquent de fermentation. Il est certain que ces bruits circulaient beaucoup , tant à Paris que dans l’Assemblée . Il est certain, et cela est avoué, que des projets semblables ont été discutés dans le Conseil du Roi. Il l’est également que le départ a été résolu , qu’il devait avoir lieu le lendemain , mais qu’on changea de projet dans la soirée.
4°-Enfin la mésintelligence entre l’Assemblée nationale et Necker , qui avait presque détruit la popularité de ce ministre et de ses collègues , d’autant plus qu’ils étaient connus pour avoir soutenu le système des deux Chambres, et que ce système était devenu , par suite des extravagances du temps, presque aussi impopulaire que la contre-Révolution.
Telles furent certainement les causes principales du malheureux événement dont je vais parler. Mais par qui cet événement fut-il dirigé ? Est-ce par le duc d’Orléans ? Est-ce par M. de la Fayette ? Je réponds , hardiment , affirmativement , ni par l’un ni par l’autre. Ce fut un parti connu principalement sous le nom du parti Cordelier . Il est aussi curieux de connaître la composition de ce parti, qu’il est essentiel d’en étudier la marche , quand on veut se mettre bien au fait des causes de la Révolution et de la manière dont elle s’est opérée. C’est ce même parti , qui fit le mouvement du 10 août 1792, et qui parvint à établir l’anarchie et la tyrannie de la République sur les ruines de ces théories plus absurdes les unes que les autres, qu’on avait eu la folie de considérer comme de sublimes conceptions politiques. » |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Ven 23 Oct - 19:42 | |
| Voici des références :
-http://books.google.be/books?id=HhU-AAAAYAAJ... ( ouvrage de M. Chateaubriand en ligne )
-Les réfugiés jacobites dans la France du XVIIIè siècle : l'exode de toute un noblesse pour cause de religion de Patrick Clarke de Dromantin PU Bordeaux, 2005 : 52, 25 euros
On peut trouver cet ouvrage partiellement en ligne. On y parle du régiment de Berwick . http://books.google.be/books?isbn=286781362X...
J'avoue que j'apprends plein de choses en lisant Louis-Philippe. Je ne connaissais pas le régiment de Berwick. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Ven 23 Oct - 19:43 | |
| Chers modérateurs , au secours ! |
| | | Chou d'amour Administrateur
Nombre de messages : 31526 Age : 42 Localisation : Lyon Date d'inscription : 22/05/2007
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Ven 23 Oct - 21:16 | |
| Oui? Vous avez un problème avec le premier lien? Comment pourrais-je le retrouver pour que je le mette? C'est marrant, Louis-Philippe passe très vite sur une des causes majeures des incidents du 5 et 6 Octobre : la faim dans Paris et le manque de subsistance. ça le gène? Car son père n'était guère clean sur ce coup _________________ Le capitalisme c'est l'exploitation de l'homme par l'homme. Le syndicalisme c'est le contraire!
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Ven 23 Oct - 21:47 | |
| Je ne sais pas, j'avais tapé régiment de Berwick sur Google et je suis tombée sur l'ouvrage de Chateaubriand en ligne. Je me suis dit que c'était intéressant de mettre un lien .
Avez-vous remarqué comme quoi Louis-Philippe impute la situation à un autre que son père ( C'est pas moi, c'est lui ! ) , c'est à dire au parti des cordeliers ? Il est juste de penser que les révolutionnaires ont voulu prendre Louis XVI de vitesse et l'empêcher d'organiser la contre Révolution. Ah, si Louis XVI s'était décidé très vite , le cours de l'histoire aurait pu être changé ! |
| | | Chou d'amour Administrateur
Nombre de messages : 31526 Age : 42 Localisation : Lyon Date d'inscription : 22/05/2007
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Ven 23 Oct - 22:13 | |
| - Citation :
- Je ne sais pas, j'avais tapé régiment de Berwick sur Google et je suis tombée sur l'ouvrage de Chateaubriand en ligne. Je me suis dit que c'était intéressant de mettre un lien .
J'ai pu le retrouver, voici le lien : CLIC - Citation :
- Avez-vous remarqué comme quoi Louis-Philippe impute la situation à un autre que son père ( C'est pas moi, c'est lui ! ) , c'est à dire au parti des cordeliers ?
Oui à lire Louis-Philippe, son père n'a vraiment strictement rien fait au cours de toutes ces années, et même en ce sens là ce n'est pas terrible pour un député aussi bien placé _________________ Le capitalisme c'est l'exploitation de l'homme par l'homme. Le syndicalisme c'est le contraire!
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Sam 24 Oct - 0:40 | |
| Merci d'avoir retrouvé le lien Chou ! Oui, Louis-Philippe cherche vraiment à laver son père de tout soupçon ! C'est une constante chez lui, il n'y a pas à dire et d'ailleurs, il ne s'en cache pas , bien au contraire ! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Sam 24 Oct - 0:44 | |
| C'est un comportement humain qu'on peut comprendre...Voyez aujourd'hui comme cette parenté au régicide colle encore à l'image des Orléans...alors pour le fils même de l'individu en question...
Bien à vous. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Sam 24 Oct - 0:47 | |
| Oui, vous avez raison , Majesté . C'est très lourd à porter ! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Sam 24 Oct - 14:20 | |
| Ensuite , Junior explique ce qu’est le parti des Cordeliers. Il s’agit d’un peuple de basse extraction. Voici ce qu’il écrit : « Le foyer de ce parti était à Paris dans le district des Cordeliers qui fut constamment le plus violent de tous. Il était alors composé de gens inconnus , de la classe la plus inférieure de celles qui reçoivent encore quelque éducation , c'est-à-dire d’un grand nombre d’écrivailleurs, de clercs , de procureurs , d’étudiants en médecine et en chirurgie, de subalternes de collèges, d’imprimeurs…Danton, avocat aux Conseils et président du district , en était un des coryphées. Ceux qui connaissent la topographie de Paris et qui savent que la rue de la Harpe et la rue Serpente se trouvaient dans l’étendue de ce district , doivent comprendre aisément quelles étaient les classes qui en composaient l’Assemblée. C’était de là que sortaient toutes les brochures et toute l’éloquence populaire de Paris ( Tiens, Junior a l’air de bien connaître ! ).
Les habitants de ce district s’associaient avec le bas peuple par leurs manières et ils prenaient beaucoup d’ascendant sur lui par la supériorité de leur éducation. Ils étaient orateurs dans les groupes et meneurs dans les émeutes. La permanence des districts depuis le 14 juillet , avait rendu leurs tribunes accessibles à tous ceux qui jugeaient à propos d’y pérorer , et les habitants du voisinage des Cordeliers en avaient profité habilement pour se bien connaître , se lier et en un mot pour former un parti , et préparer secrètement l'exécution de leurs projets. C’est ce parti qui projeta et qui conduisit le mouvement populaire du 5 octobre , afin de déterminer le Roi et l’Assemblée nationale à s’établir à Paris. Comme ce parti dirigeait la populace de cette grande ville , il était certain d’exercer une influence puissante sur le Gouvernement, dès qu’il serait parvenu à l’y transférer . L’histoire de ce parti est un des points les plus curieux et les plus importants de la Révolution et je ne l’ai encore trouvée nulle part.
Personne ne connaissait alors l’influence de ce parti. On ne s’apercevait même pas qu’il existait, parce que ses membres étaient confondus dans la multitude. On se persuadait que la multitude devait être menée par les plus grands personnages populaires ou par les membres de l’Assemblée, et on se trompait ; car les uns et les autres n’en étaient et n’en ont jamais été que les instruments. Depuis le moment où Paris s’est soustrait à l’autorité royale, l’opinion du peuple y a été dirigée par les orateurs des groupes, et ces orateurs étaient les membres ou les affiliés du club des Cordeliers, qui était lui-même un parti séparé, indépendant des autres , et n’ayant , je crois , de relation avec aucun des personnages du moment. » |
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| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Sam 24 Oct - 14:32 | |
| Je continuerais tout à l'heure les Mémoires de Louis-Philippe car le 5 octobre, il se trouvait à l'Assemblée et donc a été un témoin précieux.
Pour l'heure , voici cette référence :
Histoire Parlementaire de la Révolution française, ou Journal des Assemblées Nationales, depuis 1789 jusqu'en 1815, contenant la narration des événements... précédée d'une introduction sur l'histoire de France jusqu'à la convocation des États généraux par Philippe-Joseph-Benjamin Buchez ; Pierre-Célestin Roux-Lavergne Paris, 1834-1838. |
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| Sujet: Re: Les mémoires de Louis-Philippe Sam 24 Oct - 23:32 | |
| Louis-Philippe écrit : « Par un hasard singulier et malheureux , j’avais été à Versailles à la séance de l’Assemblée nationale précisément le 5 octobre. Un homme à cheval expédié à Passy par Mme de Genlis m’apporta d’assez bonne heure un billet par lequel elle m’enjoignait de revenir au plus vite à Passy. Elle me mandait de prendre la route de Saint Cloud afin d’éviter la rencontre des bandes de poissardes qui allaient à Versailles par la route de Sèvres et qui publiaient partout qu’elles allaient chercher le Roi et l’Assemblée pour les amener à Paris , et empêcher les Aristocrates de les leur enlever .
Je sortis à l’instant même de la tribune des suppléants où j’étais avec mon frère ( On a prétendu et cette disposition figure dans la procédure instruite par le Châtelet , que j’avais dit ce jour là dans cette tribune qu’il fallait mettre tous les aristocrates à la lanterne . Ni mon frère ni moi , nous n’avons jamais tenu ce propos , ni là , ni ailleurs , et quoique je me flatte que la dénégation en soit superflue, cependant je déclare que c’est une fausseté ) et nous revîmes à Passy par la route indiquée. Nous ne trouvâmes personne jusqu’au bois de Boulogne , mais entre le Rond de Mortemart et le château de la Muette , nous rencontrâmes une de ces bandes de poissardes. En reconnaissant la livrée d’Orléans , elles voulurent arrêter notre voiture vraisemblablement pour nous emmener avec elles à Versailles. Mais la route étant fort large , nous les évitâmes aisément , et comme la crainte de ces rencontres m’avait fait donner au cocher un ordre précis d’y prendre garde , et de ne s’arrêter sous aucun prétexte, j’entendis seulement en passant qu’elles nous criaient : « Eh mon cher Dieu , notre grand duc, comme vous êtes pressé , ce sont les femmes de Paris ». La Garde nationale de Passy était sous les armes dans la grande rue. Elle nous rendit les honneurs quand nous passâmes. Ces bonnes gens ne paraissaient savoir que faire ; les uns voulaient aller à Versailles, les autres ne le voulaient pas, mais tous se croyaient pourtant obligés de rester sous les armes , afin de sauver la Patrie et la Liberté, car en général , les hommes se consolent de ne rien faire, en se persuadant qu’ils font beaucoup. En arrivant à Passy, je trouvai Mme de Genlis fort effrayée, M. Ducrest son frère était seul avec elle. Mon père était venu à Passy dans la matinée, il avait couché au Palais Royal et comptait aller à l’Assemblée, mais ayant appris que les poissardes se portaient à Versailles, il avait cru à propos de s’éloigner, pour ne pas donner prise à la calomnie, et pour être entièrement étranger à tout ce qui pourrait arriver. C’est dans cette intention qu’il se retira à Mousseaux où il passa la journée ; précaution bien sage sans doute, mais qui ne lui servit à rien dans le temps. Puisse t-elle au moins quelque jour produire pour lui l’effet qu’il en attendait !
La route de Sèvres présentait sous les fenêtres de Passy un spectacle bien extraordinaire. On voyait passer continuellement des bandes de femmes et d’hommes du peuple qui s’en allaient à Versailles très tranquillement. Le nombre en augmentait à chaque instant , et la plupart disait : « Allons, il faut voir ce qui se passe à Versailles , il doit y avoir bien du monde. »Les limonadiers criant à la fraîche, les marchands de pain d’épices et de plaisirs, les vielleuses etc, tout cela s’en allait gaiement à Versailles , que s’il n’eût été question que d’y voir jouer les eaux. Cependant au milieu de cette insouciance, ils tenaient des propos atroces sur tous les ennemis de la Révolution, et principalement sur la Reine.
La plus grande agitation régnait dans Paris. Les Assemblées de quelques districts ayant fait sonner le tocsin, l’alarme s’était répandue dans tous les quartiers. On battit la générale tout aussi spontanément , et la Garde nationale courut aux armes. Il était assez tard quand elle se réunit sur les quais en nombre de plus de 30 000 hommes. On ignorait ce qui se passait à Versailles où on savait bien qu’une grande masse de peuple s’était portée dans la journée, et cette ignorance laissait accréditer les bruits les plus absurdes. Toute la jeunesse parisienne avait envie de faire une expédition, une marche de guerre , peut-être même craignait-elle de s’être réunie inutilement ; ce qui est certain , c’est que lorsque toute la Garde nationale fut sous les armes , elle manifesta unanimement la volonté de marcher sur Versailles, afin d’y défendre l’Assemblée nationale et d’empêcher le Roi de s’éloigner. Il est sûr que l’idée du départ du Roi paraissait inséparable de celle de la contre-Révolution.
M. Bailly et M . de La Fayette étaient à l’hôtel de ville fort embarrassés de leur contenance ; elle était très embarrassante. Ils sentaient qu’ils n’avaient qu’un simulacre d’autorité, et que malgré leurs emplois, ce n’était pas à eux de donner des ordres , mais d’en recevoir. Il paraît que M . de La Fayette aurait voulu empêcher cette expédition , mais que voyant la Garde nationale décidée à partir sans lui s’il ne se mettait à la tête, il s’y décida, et marcha sur Versailles avec l’armée parisienne , son artillerie et une foule considérable qui l’accompagna. Nous la vîmes passer devant Passy vers 9h du soir , en très bon ordre , et le silence était si bien observé que nous ne fûmes avertis de son approche que par le bruit de l’artillerie en marche. La colonne fut longtemps à défiler, et cette marche présentait un aspect que la nuit rendait encore plus imposant.
Le Roi était à la chasse , quand on reçut à Versailles les premières nouvelles du mouvement de Paris. On le fit avertir sur le champ , et il revint au château. Il est difficile de savoir d’une manière précise qu’elles étaient les intentions du Roi , car elles variaient souvent. Il est certain qu’il adopta successivement des résolutions contraires les unes aux autres. Je crois qu’il y avait peu d’harmonie dans l’intérieur du château. La Reine n’aimait ni M. Necker ni les ministres d’alors, et elle avait beaucoup d’ influence sur le Roi. M. Necker dit dans un de ses ouvrages , que dans le cours de cette malheureuse journée , la Reine eut, en peu d’heures deux opinions contraires sur les avantages et les inconvénients du départ, et cela n’explique que trop la tâtonnement et l’incertitude du Roi. Tantôt, il voulait partir, et tantôt il ne le voulait plus. Dans un des moments où le départ était décidé , il ordonna des voitures et on mit les chevaux ; mais le peuple de Versailles réuni à quelques poissardes de Paris, s’attroupa autour des voitures, et finit par couper les traits.
Le projet de départ étant abandonné , on forma celui de défendre le château, et la première démarche du Roi, après l’avoir adopté, fut d’inviter l’Assemblée nationale à s’y rendre auprès de lui. Elle quitta aussitôt la salle où elle tenait ses séances , et se transporta au château où elle siégea dans le salon d’Hercule. Je crois qu’elle était assez embarrassée de ce qu’elle y ferait, et cet embarras ne pouvait qu’augmenter ceux du Roi et de ses Conseils. Cependant , il fallait avoir l’air d’agir, et l’Assemblée décréta qu’elle était inséparable de la Personne du Roi. Le sens de ce décret était que la Personne du Roi resterait toujours auprès de l’Assemblée, et qu’il ne lui serait pas permis de s’éloigner du lieu de ses séances. Il ne se passa rien de remarquable à Versailles dans l’après-midi, si ce n’est que la populace de Paris ayant voulu pénétrer à travers une ligne que formaient les Gardes du Corps, il y eut quelques coups de fusil tirés et M. De Savonnières, un de leurs officiers , fut blessé au bras. Cependant cet incident n’eut d’autres suites que d’ajouter à l’animosité du peuple contre les Gardes du Corps.
Dans la soirée , on battit la générale. M. d’Estaing , commandant de la Garde nationale de Versailles , la mit en bataille sur la place d’Armes devant le château, et le régiment de Flandres fut placé en seconde ligne occupant la cour des Ministres dont on ferma la grille à 11h du soir ; lorsqu’on sut que l’armée parisienne approchait , on battit un ban , et M. d’Estaing informa les troupes que les ordres du Roi étaient de repousser la force par la force. Mais malgré ces préparatifs et une déclaration aussi formelle , il n’y eut pas même une tentative de résistance, et lorque M. de La Fayette arriva à la tête de la colonne parisienne, le Roi lui donna tout de suite le commandement du château, dont les Gardes nationales parisiennes occupèrent immédiatement tous les postes.
Il était fort tard , lorsque ces dispositions furent terminées. Versailles était rempli de 100 000 parisiens ou parisiennes dans une fermentation effrayante ; il était fort à craindre que cette multitude ne se portât à des excès encore plus déplorables que ceux auxquels elle s’est livrée. Cependant M. de La Fayette étant excédé de fatigue , s’endormit. Ce sommeil lui a été reproché avec bien de l’amertume , et malgré mon désir de rendre à son caractère toute la justice qui lui est due, je ne peux pas disconvenir que puisqu’il avait pris le commandement du château , il répondait de sa sûreté, et qu’il aurait dû y veiller lui-même, ou au moins prendre des mesures pour être averti au premier mouvement de la populace . Mais je suis bien loin d’imputer à M. de La Fayette , comme ses ennemis se sont efforcés de le faire, d’avoir voulu laisser commettre les crimes qui ont souillé cette horrible nuit. Aucune partie de sa conduite ne peut l’en faire soupçonner ; et il ne faut pas oublier que s’il a été partisan de la Révolution , il a été victime des efforts qu’il a faits pour en arrêter ou en prévenir les excès.
Quoi qu’il en soit , au milieu de la nuit, une bande de brigands s’introduisit dans le château et pénétra jusqu’à l’appartement de la Reine, qui eut à peine le temps de se sauver dans celui du Roi. Les mêmes brigands saisirent quelques Gardes du Corps, les massacrèrent ( je crois au nombre de huit ) dans la cour de Marbre sous les fenêtres du Roi , et leurs têtes portées en triomphe sur des piques, furent envoyées à Paris pour annoncer à la capitale l’arrivée de son infortuné Monarque ! … M. De La Fayette étant enfin averti des horreurs qui se commettaient , accourut pour y mettre un terme et parvint à sauver le reste des malheureux que la fureur populaire avait déjà désignés pour victimes.
De ma fenêtre à Passy , je vis passer quelque chose que je ne pouvais pas bien distinguer , et ayant pris ma lunette pour l’examiner , elle me tomba des mains, quand je vis deux têtes sanglantes portées sur des piques ! …Et, chose difficile à croire , je fus témoin d’une horreur encore plus grande encore ! Ces monstres s’apercevant que la boucle des cheveux d’une des têtes était défaite , obligèrent un perruquier à la refaire et à la poudrer et continuèrent tranquillement leur route !!! …Je l’ai vu , de mes propres yeux !!! »
100 000 parisiens, ce chiffre est effrayant ! |
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