La reine Maie-Antoinette dans les souvenirs de Madame Vigée Lebrun

J'ai relu ce weekend les souvenirs de Madame Vigée Lebrun. Comme elle parle bien de Marie Antoinette! En artiste, avec la sensibilité et l'oeil exercé du peintre... Rien ne lui échappe.


C'est en l'année 1779, ma chère amie, que j'ai fait pour la première fois le portrait de la reine, alors dans tout l'éclat de sa jeunesse et de sa beauté. Marie-Antoinette était grande, admirablement bien faite, assez grasse sans l'être trop. Ses bras étaient superbes, ses mains petites, parfaites de forme, et ses pieds charmans. Elle était la femme de France qui marchait le mieux; portant la tête fort élevée, avec une majesté qui faisait reconnaître la souveraine au milieu de toute sa cour, sans pourtant que cette majesté nuisît en rien à tout ce que son aspect avait de doux et de bienveillant. Enfin, il est très difficile de donner à qui n'a pas vu la reine, une idée de tant de grâces et de tant de noblesse réunies. Ses traits n'étaient point réguliers, elle tenait de sa famille cet ovale long et étroit particulier à la nation autrichienne. Elle n'avait point de grands yeux; leur couleur était presque bleue; son regard était spirituel et doux, son nez fin et joli, sa bouche pas trop grange, quoique les lèvres fussent un peu fortes. Mais ce qu'il y avait de plus remarquable dans son visage, c'était l'éclat de son teint. Je n'en ai jamais vu d'aussi brillant, et brillant est le mot; car sa peau était si transparente qu'elle ne prenait point d'ombre. Aussi ne pouvais-je en rendre l'effet à mon gré: les couleurs me manquaient pour peindre cette fraîcheur, ces tons si fins qui n'appartenaient qu'à cette charmante figure et que je n'ai retrouvés chez aucune autre femme.




À la première séance, l'air imposant de la reine m'intimida d'abord prodigieusement; mais S. M. me parla avec tant de bonté que sa grâce si bienveillante dissipa bientôt cette impression. C'est alors que je fis le portrait qui la représente avec un grand panier, vêtue d'une robe de satin et tenant une rose à la main. Ce portrait était destiné à son frère, l'empereur Joseph II, et la reine m'en ordonna deux copies: l'une pour l'impératrice de Russie, l'autre pour ses appartememens de Versailles ou de Fontainebleau.




Madame Vigée Lebrun a fait plusieurs copies de ce tableau. Un des exemplaires se trouve à Versailles.



Quel est l'original? Selon le site consacré au peintre, celui que j'ai posté en premier lieu date de 1779 et celui de Versailles de 1778:

Oil on canvas, (23-5/8" x 21"), Kunsthistorisches Museum, Vienna. Vigee Le Brun made 6 copies of this painting. Two are in the French state collection, one in US congress (and was burned or stolen when the british sacked the capitol in 1812), one to Catherine the Great (location now unknown) and two others are missing.
http://www.batguano.com/vigeemagallery.html#A-1

... euh... ce qui fait, si je compte bien, 7...

Nous avons discuté de ces portraits et de leur chronologie dans ces deux sujets:
https://maria-antonia.forumactif.com/t1252-portrait-de-la-reine-1778
https://maria-antonia.forumactif.com/t1254-le-premier-portrait-de-marie-antoinette-peint-par-vigee-lebrun

A noter que, pour le moment, l'exemplaire de Versailles se trouve à Arras!



http://www.leparisien.fr/espace-premium/culture-loisirs/marie-antoinette-la-fuite-a-arras-07-09-2014-4115343.php

Ca, c'est un beau sujet !!

Oui c'est un réel plaisir de lire ces lignes de Vigée-Lebrun Sa complicité simple et sincère avec Marie-Antoinette est touchante en effet!

Merci, mes amis! Enchanté de lire que ça vous plaît! Replongeons donc encore un peu dans les souvenirs de cette chère Vigée...

J'ai fait successivement à diverses époques plusieurs autres portraits de la reine. Dans l'un, je ne l'ai peinte que jusqu'aux genoux, avec une robe nacaral et placée devant une table, sur laquelle elle arrange des fleurs dans un vase.

... d'accord... Je ne vois pas de quel portrait il s'agit... Si quelqu'un peut m'aider, il est le bienvenu! Nacaral, c'est une sorte de rouge. Or, je ne vois pas de portrait de Marie Antoinette en robe rouge arrangeant un bouquet... Présentée jusqu'aux genoux, en plus...

Sur le site consacré à la peintresse, voici ce que donne la traduction en anglais:

[i]In one I did her to the knees, in a pale orange-red dress, standing before a table on which she was arranging some flowers in a vase.[i]
http://www.batguano.com/vlblsmemoirs.html

Well... I'm afraid it doesn't help...

Heureusement, vous allez voir, la suite du récit fait tilt!

On peut croire que je préférais beaucoup la peindre sans grande toilette et surtout sans grand panier. Ces portraits étaient donnés à ses amis, quelques-uns à des ambassadeurs. Un entre autres la représente coiffée d'un chapeau de paille et habillée d'une robe de mousseline blanche dont les manches sont plissées en travers, mais assez ajustées: quand celui-ci fut exposé au salon, les méchans ne manquèrent pas de dire que la reine s'était fait peindre en chemise; car nous étions en 1786, et déjà la calomnie commençait à s'exercer sur elle.

La mémoire fait un peu défaut à notre amie, puisque c'est en 1783 qu'elle a peint cette oeuvre.  




This portrait, with Marie Antoinette wearing a plain dress of white muslin, inspired criticism from some, who said that Vigee Le Brun had painted the Queen in her underwear.

Hé oui... Le monde ne manque hélas pas d'esprits chagrins... Nous savons le mal que cette recherche de simplicité fera à notre reine. C'est  par des mots très durs que la critique stigmatisera ce malheureux tableau: La France, sous les traits de l'Autriche, réduite à se couvrir d'une panne.
https://maria-antonia.forumactif.com/t3091p105-les-robes-dites-en-chemise-ou-robes-en-gaulle

C'est fou, non... C'est à la suite de ces attaques que Madame Vigée Lebrun va réaliser son tableau le plus célèbre, le fameux Marie Antoinette à la rose, qui orne les murs, carnets, mousepads et mugs du monde entier...   Sur ce portrait, la reine arbore une robe plus traditionnelle, tout à la gloire du savoir-faire et de l'artisanat français.




Alors, bon... Je sais que ce portrait est galvaudé et reproduit ad nauseam. Mais j'avoue que je l'aime... que je l'adore, même... Je trouve que Marie Antoinette y ressemble à une reine de la nuit rêvée pour un opéra. Elle paraît poser dans un décor de théâtre tel ceux qu'on utilisait à Trianon. Elle est aussi, c'est mon avis, extraordinairement belle sur ce tableau, infiniment gracieuse et féminine, avec son décolleté dont la blancheur vertigineuse focalise le regard. La reine porte une robe couleur suie des cheminées de Londres qui se marie parfaitement avec le bleu gris du ciel et le nuage argenté de ses cheveux. Décentrés vers la droite, les bras dessinent un mouvement d'une grâce absolue, formant avec la ligne claire des dentelles et la pointe de la fleur une oblique qui dynamise l'ensemble: on jurerait la voir bouger... La rose n'a pas été choisie par hasard non plus. Elle symbolise la féminité mais rappelle aussi l'origine Habsbourg de Marie Antoinette.

Cette malencontreuse histoire de tableaux conspué aura pour l'artiste des répercussions charmantes...

Ce portrait toutefois n'en eut pas moins un grand succès. Vers la fin de l'exposition on fit une petite pièce au Vaudeville, qui, je crois, avait pour titre: la Réunion des Arts. Brongniart, l'architecte, et sa femme, que l'auteur avait mis dans sa confidence, firent louer une loge aux premières et vinrent me chercher le jour de la première représentation pour me conduire au spectacle. Comme je ne pouvais nullement me douter de la surprise qu'on me ménageait, vous pouvez juger de mon émotion lorsque la peinture arriva, et que je vis l'actrice me copier d'une manière surprenante, peignant le portrait de la reine. Au même instant, tout ce qui était au parterre et dans les loges se retourna vers moi en applaudissant à tout rompre, et je ne crois pas que l'on puisse être à la fois aussi touchée, aussi reconnaissante que je le fus ce soir-là.

Ah.... Ca fait vraiment du bien de lire un dénouement aussi heureux!  

J'ignorais que l'affaire du tableau dit En Gaule eut des suites agréables pour Mme Vigée-Le Brun et suis bien contente de l'apprendre.

Bien à vous

madame antoine

Et l'avenir lui a donnée raison aussi, car tous ces tableaux restent admirés de nos jours, sans plus aucune polémique

Par la suite, Elisabeth se détend un peu en présence de la reine...

La timidité que m'avait inspirée le premier aspect de la reine avait entièrement cédé à cette gracieuse bonté qu'elle me témoignait toujours. Dès que S. M. eut entendu dire que j'avais une jolie voix, elle me donnait peu de séances sans me faire chanter avec elle plusieurs duos de Grétry, car elle aimait infiniment la musique, quoique sa voix ne fût pas d'une grande justesse. Quant à son entretien, il me serait difficile d'en peindre toute la grâce, toute la bienveillance; je ne crois pas que la reine Marie-Antoinette ait jamais manqué l'occasion de dire une chose agréable à ceux qui avaient l'honneur de l'approcher, et la bonté qu'elle m'a toujours témoignée est un de mes plus doux souvenirs.

A quel époque sommes-nous? Lors d'un de ces charmants moments où l'artiste trouvait l'occasion de croquer la reine en costume de théâtre, comme sur ce dessin impromptu qui surprend Marie Antoinette entre deux répétitions?

Bonjour, Chers Tous

J'ai beaucoup de plaisir à lire ce sujet. Quand on lit la scène décrite par Mme Vigée-Le Brun, on pense à ce tableau bien connu.



Sur ce tableau, vous avez la Reine qui joue de la harpe, une Dame identifiée à Mme Campan qui lui tient la partition. A l'arrière sont des Messieurs dont l'un tient un document qui semble être aussi un morceau de musique. Dans le coin droit se tient un peintre qui immortalise la scène. Dans l'intimité de la Reine Marie-Antoinette, les Arts de côtoyaient dans une ambiance bon-enfant.

Bien à vous

madame antoine

Bien sûr... On pense aussi à ce portrait de Madame de Polignac musicienne que peignit Elisabeth Vigée Lebrun elle-même en 1783...





Ou à cette gracieuse représentation de Marie Antoinette au clavecin, par Drouais (ou Wagenschön? ) aux alentours de 1770...





Elle est bien jeune, Marie Antoinette, sur ce tableau, et elle s'exerce à la musique depuis longtemps. Quand elle chantera avec Madame Vigée Lebrun, ce sera des années plus tard, elle aura encore perfectionné son art. Et l'autre vient dire qu'elle n'a pas la voix juste...

... pffff... c'est dans ces moments-là qu'elle m'énerve, la Vigée, quand elle nous la joue mauvaise langue...

Et qui dit que ce n'est pas elle qui faussait, d'abord!

Peut-être qu'elle était juste jalouse

Lol!

Nan, faut voir les choses en face, les témoignages rapportant que Marie Antoinette n'avait pas une voix terrible-terrible se recoupent. Mais c'est pas une raison! Elisabeth Vigée Lebrun cultive l'art de décocher comme ça, mine de rien, des piques à l'encontre des gens dont elle parle. Cette habitude donne parfois un ton pas sympa à ses souvenirs.

Oui c'est sûr qu'après c'est sa parole contre les autres, et dur d'en savoir plus
Disons que tout est possible....et il faut aussi imaginer que la plupart des courtisans devaient complimenter la reine sur sa voix peut-être aussi juste pour bien se faire voir

Ah...dommage que nous n'ayons pas d'enregistrement audio n'est-ce pas?

Ah, la voix de Marie Antoinette... Le rêve...

Epinglons une autre petite confidence de cette chère peintresse d'où ressort le caractère piquant de notre reine adorée...

... en 1786, peignant la reine, je la suppliai de ne point mettre de poudre et de partager ses cheveux sur son front. - Je serai la dernière à suivre cette mode, dit la reine en riant, je ne veux pas qu'on dise que je l'ai imaginée pour cacher mon grand front.

Sur quel portrait Elisabeth travaillait-elle? Celui-ci, qu'on date traditionnellement de 1786?




Nous l'adorons tellement que nous en avons fait l'image d'accueil de notre Boudoir. Le rouge lui va si bien...

Spoiler:

Ou bien la reine posait-elle pour ce portrait-ci? D'accord, ce serait plutôt 1785, mais... le classement est-il assuré? La mémoire de notre conteuse est-elle sans failles? Non, ça c'est certain, nous l'avons déjà prise en défaut...




On l'aime aussi, n'est-ce pas? Marie Antoinette y apparaît d'une telle grâce, d'une telle profondeur...

Et pourquoi ne serait-ce pas ce portrait-ci? Hein?! Pourquoi pas... parce qu'il est bleu? Plus sérieusement, la date en est tellement incertaine qu'on pourrait le placer n'importe où. Mais il est beau, lui aussi...




D'accord, la reine y est peut-être plus âgée...

L'artiste suggère à son modèle de partager ses cheveux sur son front. Que veut-elle dire? Se faire ce qu'on appelle de nos jours une chienne, tout simplement, à mon avis. Puisque son interlocutrice répugne à cacher son grand front, c'est donc que cette coiffure permettait de le dissimuler.

D'ailleurs, Madame Vigée Lebrun réalisera son souhait en peignant en 1800 une reine posthume avec des boucles sur le front. C'était comme ça, sans doute, qu'elle avait envie de voir sa muse...

Et c'est vrai que ça lui va bien...

C'est vrai que nous ne savons pas sur quel portrait Vigée-Lebrun travaillait à ce moment Bonne question!

Cela montre que Marie-Antoinette faisait vraiment attention à son apparence et à l'impact de son image sur le public

Ce sujet me ravit.

Bien à vous

madame antoine

Reprenons les émouvants souvenirs de Madame Vigée Lebrun... Où avions-nous laissé la jolie peintresse? Ah oui, devant chez la reine...  

Un jour il m'arriva de manquer au rendez-vous qu'elle m'avait donné pour une séance; parce que étant alors très avancée dans ma seconde grossesse, je m'étais sentie tout à coup fort souffrante.

Hélas, ce second enfant que portait alors l'artiste mourra fort jeune. En 1780, elle a déjà donné naissance à une fille, Julie, qu'elle représentera souvent.




Je me hâtai le lendemain de me rendre à Versailles pour m'excuser. La reine ne m'attendait pas, elle avait fait atteler sa calèche pour aller se promener, et cette calèche fut la première chose que j'aperçus en entrant dans la cour du château.

Toutefois je ne montai par moins parler aux garçons de la chambre. L'un d'eux, M. Campan, me reçut d'un air sec et froid, et me dit d'un ton colère, avec sa voix de stentor: "C'était hier, madame, que Sa Majesté vous attendait, et bien sûrement elle va se promener, et bien sûrement elle ne vous donnera pas séance."

Oups! Pas sympa, le sieur Campan, on imagine la pauvre Elisabeth consternée...

Sur ma réponse, que je venais simplement prendre les ordres de Sa Majesté pour un autre jour, il va trouver la reine, qui me fait entrer aussitôt dans son cabinet. Sa Majesté finissait sa toilette; elle tenait un livre à la main pour faire répéter une leçon à sa fille, la jeune Madame.

Oh... quelle scène adorable...

Le coeur me battait; car j'avais d'autant plus peur que j'avais tort. La reine se tourna vers moi et me dit avec douceur: "Je vous ai attendue hier toute la matinée, que vous est-il donc arrivé?"
"Hélas! madame, répondis-je, j'étais si souffrante que je n'ai pu me rendre aux ordres de Votre Majesté. Je viens aujourd'hui pour les recevoir, et je repars à l'instant."
"Non! non! ne partez pas, reprit la reine; je ne veux pas que vous ayez fait cette course inutilement." Elle décommanda sa calèche et me donna séance.

Marie Antoinette telle que la décrivent tous ceux qui ont eu le bonheur de l'approcher en vrai... Sensible, empathique, généreuse, attentionnée...

Oui, oui, je me tais et je laisse Vigée parler... parce que le plus beau reste à venir!

Je me rappelle que dans l'empressement où j'étais de répondre à cette bonté, je saisis ma boîte à couleurs avec tant de vivacité qu'elle se renversa; mes brosses, mes pinceaux tombèrent sur le parquet; je me baissais pour réparer ma maladresse. "Laissez, laissez, dit la reine, vous êtes trop avancée dans votre grossesse pour vous baisser"; et, quoi que je pusse dire, elle releva tout elle-même.



On en reste sans voix, n'est-ce pas?

Eh bien, nous avons la chance qu'un peintre ait eu envie d'illustrer cette scène magnifique. Nous pouvons donc la voir à travers le pinceau d'Alexis Nicolas Pérignon, un artiste du XIXe siècle:

Plein de grace tout cela.