e vais mettre l extrait complet
c est la suite de ce que j ai mis la
https://maria-antonia.forumactif.com/t737p50-leopold-ii#334659augeard continue ses entrevues pour essayer de venir en aide a la couronne de france
Je fus le soir même au jeu de l’Impératrice, où étoient tous les François connus ; j’y fus présenté, ainsi qu’à la Reine de Naples, qui s’approcha de moi et me dit :
« Je sais tout ce que vous avez souffert pour ma malheureuse sœur : vous avez pensé être pendu pour elle, je voudrois bien vous voir. »
Je lui demandai son heure, elle me donna celle de dix pour le lendemain.
Dès que je fus introduit chez la Reine, son premier soin fut de me parler de sa sœur; elle m’en parla avec le plus vif intérêt et le plus sensible attendrissement.
« Comment ! il est possible, s’écria-t-elle, que deux polissons tels que le duc d’Orléans et La Fayette aient pu se croire capables d’opérer une révolution! Ils ne seroient pas même placés dans les mauvais lieux de Naples. »
Elle voulut savoir ensuite le sujet de ma détention à l’Abbaye et de mon procès. J’eus l’honneur de lui en faire part; elle me demanda de lui expliquer jusqu’aux plus petits détails le plan que j’avois donné à la Reine pour sortir du royaume.
« Et ma sœur n’a pas voulu suivre votre conseil? Qui a donc pu l’en détourner?
— Elle m’a dit ses jours d’indécision, de débats et de réflexion ; mon devoir est de mourir aux pieds du Roi.
— Elle l’auroit sauvé.
— Je crois, Madame, que la Reine a eu peur des effets de la loi du divorce dont on commençoit à parler, et qu’on eût forcé par la suite le Roi à la sacrifier, elle et ses enfants.
— Que vous a dit mon frère l’Empereur, et que lui avez-vous dit? »
Je lui rendis compte en abrégé de nos conférences, et sur ce que je ne lui cachai point que j’avois prié l’Empereur de me renvoyer pour les détails à un de ses ministres, attendu que je croyois inutile qu’on me vît entrer souvent chez Sa Majesté Impériale; comme je lui dis qu’Elle avoit insisté sur le désir qu’Elle avoit de traiter celte affaire avec moi seul, voici ce que la Reine de Naples me répondit :
« Je ne vous connoissois qu’en raison de ce que vous avez souffert pour ma sœur et de votre, dévouement pour elle, mais je fais bien cas de votre personne; vous avez su mettre votre amour-propre à vos pieds; savez-vous bien qu’il n’y a peut-être personne en Europe qui refuseroit de travailler avec mon frère l’Empereur?
— Je suis bien éloigné de refuser cet honneur, mais je crois que le bien général doit être préféré à mon intérêt particulier, et qu’il pourroit y avoir du danger qu’on me vît et qu’on sût que je vois souvent l’Empereur en particulier.
— Eh bien, vous ne travaillerez point avec lui, puisque vous ne le voulez pas, vous ne travaillerez point avec ses ministres, puisqu’il ne le veut pas, mais vous travaillerez avec moi, et votre secrétaire ne vous vendra pas. Vous viendrez tous les jours ici sur les dix heures, et je suis encore libre les après-dînées depuis cinq jusqu’à six. Vous pouvez même avoir l’attention, quand vous viendrez me voir, de passer par la maison voisine, qui donne dans la
mienne. »
Elle appela sa première femme de chambre.
« Vous voyez bien ce monsieur-là, je suis toujours visible pour loi; c’est le secrétaire de ma malheureuse sœur que vous avez élevée. »
On lui annonça dans le même moment les courriers de Naples. Comme le Roi, son mari, étoit à la chasse, elle ouvrit les dépêches pour préparer le travail. Elle s’aperçut de mon étonnement; elle me dit :
« Cela vous surprend?
— C’est que Madame votre sœur n’ouvre pas les dépêches du Roi.
— J’en ai la permission, moi ; je prépare le travail quand le Roi est à la chasse, et il m’est arrivé même de le signer quand une affaire se fait urgente, parce qu’enfin les affaires de l’Etat ne doivent jamais souffrir de retard. »
Je retournai le lendemain matin chez elle, et je l’ai vue cinq fois au moins pendant le temps du couronnement.
Elle me demanda ;
« Mais d’où vient donc ce déchaînemcnt effroyable de votre pays contre ma malheureuse sœur, et pourquoi les personnes qu’elle a le plus comblées de biens sont-elles acharnées aujourd’hui à la diffamer? car je sais là-dessus des détails à n’en pas douter. »
Elle s’expliqua sur plusieurs, et je ne pus m’empêcher de lui dire en badinant :
« Madame, vos ambassadeurs ne vous ont pas volé leurs gages. Permettez-moi de remonter un peu à la source.
Quand Louis XVI monta au trône, il n’avoit pas vingt ans; il commença à régner sur la cour la plus corrompue, la plus immorale, la plus malhonnête de l’Europe. Le vice seul y étoit en honneur. Leurs Majestés commencèrent à en chasser tout ce qu’il y avoit de plus hideux, tous les du Barry et les tenants et aboutissants ; mais bientôt le vice se présenta sous des couleurs plus séduisantes. La Reine trouva à sa cour des jeunes personnes aimables et analogues à son âge. Elles lui présentèrent l’étiquette qui avoit toujours régné à Versailles comme une existence
pénible et qui gênoit sans cesse ses démarches les plus simples. On lui insinua qu’il étoit de la bonté de son àme de tempérer un peu la majesté du trône ; qu’en réservant à son éclat les dimanches et fêtes, elle pourroit jouir de la douceur et de l’aménité d’une vie particulière et privée. La Reine se détermina donc à se faire une société , et par malheur elle consentit à laisser la dignité de son rang suprême dans son palais pour aller dans l’appartement de madame de Polignac y jouer le second rôle. C’est un reproche qu’on peut faire à la Reine; mais quelle est la princesse qui, arrivant au trône dans un âge aussi tendre, entourée d’une cour aussi brillante dont les vices et la corruption étoient cachés sous des formes aussi agréables, eût pu être bien persuadée qu’une Reine dans tout empire quelconque ne doit avoir qu’une cour et jamais de société, et surtout chez autrui? Les malheurs qui en dévoient résulter sont incalculables. La société de la Reine, composée de gens très-fins en fait d’intrigue, s’emparèrent insensiblement de son esprit et se concertèrent entre eux pour en être maîtres absolus et la conduire à leur fantaisie. Tant que .M. de Maurepas a vécu , celle société-là a toujours été assez bridée ; mais dès l’instant de la mort de ce premier ministre, cette société ne s’occupa plus que du choix des ministres, et de placer dans les départements ou leurs parents ou leurs amis, ou des gens voués entièrement à leurs volontés.
Le département des finances étoit celui qui convenoit le plus à leur rapacité. Ils n’eurent point de cesse qu’ils n’eussent extorqué de la faiblesse du Roi et de la Reine la nomination d’un M. de Calonne au contrôle général; c’étoit l’être le plus décrié, le plus immoral, perdu de dettes, sans aucun principe et de la plus grande facilité pour faire le mal. A peine nommé, il fit un emprunt de 100 millions, dont un quart n’est pas entré au Trésor royal, le reste a été dévoré par les gens de la cour. On évalue ce qu’il a donné au comte d’Artois à 50 millions , la part de Monsieur à 25 millions. Il a donné au prince de Condé, en échange de 300.000 livres de rente, 12 millions une fois payés et 600.000 livres de rente viagère. Il a fait faire au Roi les acquisitions les plus onéreuses, des échanges dont la lésion étoit de plus de 500 pour 100; enfin il a endetté l’État, en trois ans et cinq mois, de plus de 900 millions, sans que la recette ait été augmentée d’un sou pendant le cours de son ministère. La Reine, instruite parfaitement bien et effrayée de ce déluge de dilapidations, l’a fait renvoyer. Cet homme pour s’en venger a répandu, lui , les siens et les gens qu’il avoit enrichis aux dépens du Trésor royal, contre la Reine un océan de diffamations. Le Roi ne l’a exilé que pour le soustraire aux regards de la justice et arrêter une procédure déjà commencée au Parlement de Paris sur des faits tellement majeurs qu’il en auroit perdu la tête. Cet homme, toujours dans l’intention de se venger, s’est rendu fugitif en Angleterre, puissance rivale de la nôtre, et s’est par là mis en état de rébellion envers son souverain. A Londres, à quoi a-t-il employé ses loisirs? A corriger les infâmes Mémoires de la Lamotte contre Madame votre sœur Sachant le froid qui existe aujourd’hui entre la Reine et son ancienne société, sous prétexte de se rendre utile, il intrigue dans ce moment-ci pour joindre à Turin le comte d’Artois ; mais ses vues véritables sont d’augmenter encore la division, en insinuant
à ce prince loyal et franc, mais sans expérience, des démarches qui ne tendent qu’à contrarier les
vues du Roi et augmenter l’embarras des affaires. »
La Reine m’interrompit.
« Vous me faites plaisir de me confirmer ce que je savois déjà. Je vois que ma sœur est très-malheureuse; je voudrois bien venir à son secours, je consentirois bien volontiers que l’on vendit mes domaines et mes bijoux, mais nos revenus ne nous permettent pas de faire de grandes dépenses; je voudrois que mon frère l’Empereur me permît d’aller à Paris, j’irois déguisée en marchande. Je trouverois bien moyen de percer jusqu’au boudoir de ma sœur; je lui dirois : Eh bien, ma malheureuse amie, me reconnois-tu? Quand tu étois sur ton trône brillant,
parce que c’étoit le plus beau de l’Europe, tu ne nous regardois pas , lu ne répondois pas même à mes lettres ; mais tu es dans le malheur, cela me suffit pour venir à ton secours; écoute-moi seulement une heure : de la femme la plus infortunée je te veux faire la plus grande reine de l’univers. Et, monsieur Augeard, je lui donnerois du courage.
— Madame, vous ne lui en donneriez pas, elle en a autant que la Reine de Naples ; mais il lui faudroit une tête et un esprit de suite comme à Votre Majesté. »
Elle reprit le lendemain la conversation sur le même sujet ; elle ne pouvoit concevoir comment des êtres aussi plats, aussi nuis que le duc d’Orléans et La Fayette, et un banquier comme Necker, pouvoient former et suivre un projet de conjuration, et comment il ne s’est pas dans le conseil du Roi trouvé un seul homme pour arrêter un pareil complot.
« Vous avez bien raison. Madame, les tètes de ces trois personnages sont réellement trop rétrécies pour comprendre l’ensemble d’une besogne aussi monstrueuse; mais ils ont des conseils secrets extrêmement pervers et malheureusement trop instruits, tels que Sieyès , Laclos , Condorcet , Target et autres personnages, qui, derrière la toile, tiennent les fils des marionnettes et les font remuer et jaser à volonté. Ils oui déjà rejeté et mis au rebut le Genevois, et en useront de même vis-à-vis de bien d’autres, si encore ils ne les sacrifient pas. Parmi les ministres du Roi et ses conseils il n’y avoit pas un seul homme; l’intrigue les faisoit et les défaisoit. Les premiers commis, qui ne dévoient être que les manœuvres, ne voyant personne à la tête du bâtiment, s’en croyoient les architectes. Le ministère a bien été formé au commencement de juillet 1789 d’une trempe un peu plus forte, il n’a pas duré huit jours. Dans les gens de la cour, et ceux qui par la nature de leurs charges entouroient le Roi, il ne s’est pas trouvé un être, je ne dis pas de grande capacité, mais même un peu au-dessus de la médiocrité. Les grands seigneurs s’imaginaient que leur dignité et leur rang suffisoient pour prétendre à tout et pour être idoines à tout. Si par hasard il s’en trouvoit parmi eux un peu moins bornés ou un peu plus
instruits, leurs parents, leurs amis et leurs tenants les comparoient aux plus grands génies et les plaçoient dans leurs sociétés au-dessus des emplois les plus difficiles. Les gens de la cour avaient aussi la manie de vouloir être académiciens. Comme ils étoient petits et plats vis-à-vis de leurs confrères tirés du tiers état! Ce n’étoit que là et dans la seconde noblesse que se trouvoient le savoir et la capacité. Citez-moi, Madame, dans ce qu’on appelle le parti aristocrate, un homme à grands talents. Est-ce l’abbé Maury, d’Eprémesnil, Cazalès? Ils sont et sortent du tiers état. D’ailleurs la morgue des gens qu’on appelle de qualité avoit mis une telle démarcation entre eux et
ce qu’on appelle la noblesse de province ou la haute bourgeoisie, qu’il n’en pouvoit résulter que de grandes et plates jalousies. Un M. de Ségur avoit rendu une ordonnance qui excluoit des emplois militaires tout sujet qui ne prouveroit pas quatre degrés de noblesse. Il l'alloit, à la bonne heure, y tenir la main, mais jamais en faire une loi; mais ce qu’il y a de bien plus fou, c’est qu’ils avoient arrêté qu’à l’avenir tout officier qui arriveroit par l’état de major et lieutenant-colonel ne pourroit pas devenir lieutenant général; jugez. Madame, s’il étoit possible d’humilier plus la noblesse du royaume. »
La Reine de Naples me dit :
« Le grand mal, c’est d’avoir assemblé les étals généraux. »
Je me permis de lui représenter qu’il auroit été bien difficile de s’en dispenser. Le Roi les avoit promis trop formellement. La cour étoit trop gangrenée. Le ministère étoit trop despote et trop imbécile. Les notables ayant refusé l’impôt territorial et le timbre, il étoit impossible au Parlement d’enregistrer ces deux impôts sans se rendre la bête noire des peuples et risquer de se faire lapider, surtout d’après l’imprudence du gouvernement, qui avoit déclaré que cette cour n’étoit chargée que des affaires de justice et point faite pour se mêler de l’administration. Mais en assemblant les états généraux, il ne falloit pas renverser la constitution du royaume en changeant le mode de la convocation, et par la double représentation augmenter les forces d’un corps qui
étoit vingt-trois fois plus considérable que les deux autres. Il ne falloit pas souffrir l’opinion par tête. Il ne falloit pas tenir les états généraux dans une ville où la populace devoit faire craindre une commotion dangereuse. Il ne falloit point souffrir de tribunes dans la salle des délibérations, et encore moins y donner entrée à la populace. Et enfin, comme il ne s’agissoit pas de ces grandes questions d’État qui embrassent l’universalité de l’Empire, mais seulement d’argent, il ne falloit pas amalgamer aux états généraux les provinces qui, par leur constitution, étoient dans l’usage d’offrir et donner périodiquement des secours au gouvernement; on eût diminué par là de plus d’un tiers le nombre des députés, le Roi auroit pu se retirer dans une de ses provinces d’état, dès qu’on auroit pu craindre et prévoir ou un mouvement dangereux, ou même une motion hasardée; avec de telles précautions il ii’y auroit rien eu à craindre. Si même, dès le commencement des troubles, le Roi s’étoit retiré à Compiègne, ou seulement suivi l’armée du maréchal de Broglie pour se rendre à Metz, tout auroit été dit; mais il n’étoit entouré que de ministres traîtres ou imbéciles, ou de grands seigneurs qui le trahissoient journellement, et d’un intérieur dont la majeure partie étoit encore moins fidèle. »
La Reine de Naples me pria de lui faire un petit tableau des principaux auteurs de la Révolution et de ceux qui prétendoient au ministère, en me priant de m’ouvrir à elle avec loyauté sur ce que je pensois de ces différents personnages. Je lui remis cet état le surlendemain du couronnement de Léopold. Je quittai ensuite Francfort pour me rendre à Mayence, où j’appris que le Roi de Naples étoit tombé malade de la rougeole. Je crus qu’il étoit de mon devoir de retourner à Francfort, d’autant plus que la Reine y étant restée seule, elle auroit plus de loisir à me permettre de lui faire ma cour. Elle fut très-sensible à mon attention. Je l’ai vue tous les jours jusqu’à celui de son départ, et en prenant congé d’elle, elle me dit :
« Mon cher Augeard, si par hasard ma sœur de France étoit capable d’oublier tout ce que vous avez fait pour elle, tout ce que vous faites et tout ce que vous méritez, venez me trouver, vous et vos enfants, il ne vous manquera jamais rien. »
J’oubliois de dire que j’avois été instruit le 22 ou le 23 octobre, d’une manière certaine, que le Roi et la Reine pensoient sérieusement à se retirer le 10 du mois de novembre à Valenciennes. Je trouvai la Reine de Naples qui en étoit également instruite; elle m’ajouta ;
« Cela dépend du moment où les troupes de mon frère l’Empereur arriveront à Bruxelles. »
Mais elles n’y entrèrent que le 21 du mois, ce qui fit remettre le projet de Valenciennes au mois de décembre, qui, je crois, auroit eu son effet si le plan fou et impraticable de la contre-révolution de Lyon n’avoit point éclaté.
fin des entretiens