Madame Adélaïde

Tout à fait , c'était très exagéré. Mais faut-il s'étonner des assertions de Marat qui collent parfaitement au personnage ?

"A Châlon, elles donnent l'ordre de hâter la marche , ne voulant pas recommencer l'aventure d'Arnay le Duc. Le 5 mars , elles traversent Lyon , où une foule sympathique les accueille, bien qu'aux applaudissements se mêlent quelques coups de sifflets et des cris hostiles.
Mesdames atteignent la frontière au Pont de Beauvoisin. En Savoie, les Filles de France sont accueillies au bruit du canon et des acclamations. Plus tard , se souvenant de cet épisode , Adélaïde écrira : "Se croire en chez soi et chez soi à l'étranger fait une impression impossible à rendre ! "

Les marques de respect et d'affection du peuple de Savoie ne parviennent pas à consoler Victoire, assise toute en larmes au fond de la voiture, et Adélaïde, muette et glacée, le regard tourné vers le couchant, où disparaît peu à peu le doux royaume de son père...
Le roi de Sardaigne , Victor-Amédée III avait donné des ordres pour que Mesdames fussent reçues à Chambéry avec les plus grands honneurs ; Adélaïde et Victoire s'y reposèrent pendant trois jours. Après quoi, la caravane princière franchit les Alpes par le mont Cenis. Les cols étaient couverts de neige et la traversée fut des plus pénibles ."

" Sur l'autre versant des Alpes , à Novalese , Mesdames eurent la joie de retrouver leur neveu , le Comte d'Artois, puis à Rivoli , la Comtesse d'Artois et ses deux fils le duc de Berry et le duc d'Angoulême ( qui épousera la fille de Louis XVI ) et enfin leur nièce , Madame Clotilde , sœur du roi , devenue par son mariage princesse de Piémont. Ce fut pour les exilées une très douce consolation de se retrouver en famille à la Cour du vieux roi de Sardaigne. Victor-Amédée leur avait ménagé à Turin , dans sa capitale, une brillante réception ."Un peuple immense, écrit M. de Chastellux, et plus d'un millier de carrosses bordant le chemin des princesses. Le roi lui-même vint au-devant de Mesdames jusqu'à la portière de leur voiture..."

Arrivées à Turin le 12 mars, Adélaïde et Victoire séjournèrent deux semaines au palais royal. Elles y fussent restées plus longtemps , si elles n'avaient craint d'attirer sur le roi de Sardaigne la colère des Jacobins de son royaume, qui lui reprochaient de se montrer trop généreux à l'égard des émigrants français, ennemis du peuple, dont le nombre augmentait sans cesse en Savoie et ailleurs.
Madame Adélaïde décida en conséquence d'abréger son séjour à la Cour de Turin et de s'arracher à l'intimité de ses parents et à la chaleureuse amitié du peuple piémontais."

" Poursuivant leur route vers Rome, les princesses et leur suite atteignirent Parme , en passant par Plaisance.
La ville du Corrège leur rappelait d'émouvants souvenirs. C'est là qu'avait régné Madame Infante,leur sœur aînée. La duchesse de Narbonne y avait passé de longues années ; et la dame d'honneur se réjouissait de faire connaître aux princesses la petite capitale du duché, où étaient nés ses enfants.

L'Infant Ferdinand, duc de Parme , fils de Madame Infante et de Don Philippe, et son épouse Marie-Amélie, sœur aînée de Marie-Antoinette , reçurent Mesdames à l'entrée de la ville et les comblèrent de prévenances. Les réceptions prirent un tour familial. De Milan, Venise et Bologne accoururent de nombreux émigrés français, désireux de rendre hommage sur la terre d'exil aux illustres fugitives.
Le 7 avril, les tantes du roi de France quittèrent à regret la Cour de Parme , en compagnie du Comte d'Artois et firent route vers Bologne, avant de gagner Rome où le cardinal de Bernis préparait leur réception."

Madame de Chimay a écrit:

" avant de gagner Rome où le cardinal de Bernis préparait leur réception."

Une immense fête, alors que le cardinal est proche de la ruine (l'Assemblée l'a privé de ses revenus d'ecclésiastique avant de le faire de ses biens propres, en tant qu'émigré).

Merci pour la suite de cette biographie chère princesse!

"Arrivées à Terni, dans l'Etat pontifical, Mesdames reçurent un courrier de M. de Bernis leur annonçant que le cardinal se transportait à trois postes de Rome pour les saluer. La rencontre fut touchante. Le vieux prêtre manifesta la plus grande émotion à la vue des Filles de France. Lui-même le confessera plus tard : " Le premier moment étouffa ma voix et attendrit mon coeur jusqu'aux larmes..."

Adélaïde et Victoire de France firent leur entrée dans Rome par la porte du peuple le samedi 16 avril 1791, vers trois heures de l'après-midi. Une foule respectueuse se pressait sur le passage des princesses ; le cortège dut marcher au pas, en raison de l'affluence."Mesdames étaient seules dans leur voiture ; leurs dames occupaient deux carosses de suite qu'accompagnaient cinq courriers au nombre desquels celui envoyé par le Saint-Père" ( Mémoires historiques de M. T Montigny ( 1803 )."

" Sur le Corso , vis à vis de la petite place Saint Marcel, s'élève un hôtel élégant construit au XVIIe siècle, le palais Carolis ; c'est là que résidait depuis son ambassade à Rome en 1769, le cardinal de Bernis. Celui-ci y accueillit Mesdames de France à leur descente de voiture et les conduisit aux salons du premier étage.

Le pape Pie VI , voulant témoigner ses respects à l'illustre Maison des Bourbons , avait envoyée à Mesdames, pour leur souhaiter la bienvenue, le cardinal de Zelada, secrétaire d'état, et son maître de chambre. Toute l'élite de Rome défila ensuite dans les salons du palais Carolis devant Adélaïde et Victoire , auxquelles leurs dames d'honneur présentèrent successivement les cardinaux, ambassadeurs, ministres étrangers, prélats, seigneurs et grandes dames de la cour pontificale. Un brillant souper , offert au cardinal de Bernis, trop fastueux au gré des princesses , qui le reprochèrent gentiment à leur hôte, termina la première journée de Mesdames à Rome. Leur long voyage avait duré près de deux mois."

http://www.persee.fr/.../rvart_0035-1326_1997_num_116_1_348328

Titre de l'article à chercher : un vase de Sèvres retrouvé au musée de Trieste

"Le jour suivant , dimanche des Rameaux , Mesdames , conduites par la princesse de Santa-Croce , désignée par le pape pour les accompagner , se rendirent au Vatican . reçues d'abord chez le cardinal Braschi, neveu du pape, où les princesses trouvèrent réunis les membres du Sacré Collège et la noblesse papale, Mesdames furent ensuite présentées au souverain pontife.

Pie VI s'empressa de relever Adélaïde qui s'était mise à genoux et d'empêcher Victoire de se prosterner. Pendant le cours de l'entretien qui dura une demi-heure, le pape ne cessa de témoigner aux tantes de Louis XVI les plus grands égards et la plus grande sollicitude. A la soirée offerte , le jour même, en leur honneur, par le secrétaire d'état, Mesdames exprimèrent hautement combien l'accueil du saint père les avait émues.

Le lendemain , le pape fit porter au palais Carolis les présents qu'il était d'usage d'offrir à leur arrivée aux princesses royales.70 serviteurs apportèrent à Mesdames , au nom du pape , des corbeilles de fleurs, de fruits, de comestibles, de volailles et de vins fins, ainsi qu'un veau de lait , paré de rubans."

" Après dîner, le bruit se répandit dans Rome que le nouveau souverain pontife en personne allait rendre visite aux princesses de France ; cette démarche d'une haute courtoisie rompait avec l'étiquette romaine. Aussitôt , une grande foule envahit le Corso et les abords du palais Carolis. Acclamé par le peuple , qui manifestait en même temps sa sympathie à la maison de Bourbon, Pie VI descendit de voiture devant le perron du palais Carolis, où l'attendaient Mesdames et le cardinal de Bernis. Dans le grand salon, le pape accepta les rafraîchissements que lui présenta Bernis et s'entretint paternellement avec Mesdames. En prenant congé des princesses , Pie VI marqua de nouveau sa déférence à leur égard par toutes sortes d'attention particulières.

Aux présents du pape s'ajoutèrent ceux du gouverneur de Rome. Le soir, les filles de Louis XV ouvrirent leurs salons à la noblesse romaine et à la colonie française , recevant les hommages des uns et des autres , " avec une extrême bonté."

http://www.madame-acarie.org/presentation.php?type...1... -

Parce que l'armée française s'avançait vers l'Italie, voilà la raison de la fuite de Mesdames. Mais je reviendrais plus en détail sur cet aspect.
Les princesses vivent au palais de Carolis entre l'espoir et la déception. La fuite du roi les remplit de joie mais l'épisode de Varennes les remplit de consternation.
Le Cardinal de Bernis " prétendait que l'Assemblée était instruite de la fuite du roi et qu'elle en avait permis l'éxécution pour le dépouiller de ce qui lui restait de royauté.
Les relations diplomatiques entre la France et le Saint Siège se tendaient chaque jour davantage. A Paris, des fanatiques avaient brûlé un mannequin représentant le pape Pie VI, surnommé " l'Ogre du Tibre".Le Saint-Père , qui avait dénoncé la constitution civile du clergé et protesté contre la confiscation d'Avignon, demanda en outre réparation de l'injure faite à sa personne. Le silence des autorités françaises obligea le nonce à réclamer ses passeports.
Pendant ce temps, Mesdames , s'abandonnent à la Providence , se réfugiaient dans la prière. "

Si seulement le pape Pie VI s'était montré moins intransigeant envers la constitution civile du clergé....
(comme il s'était écrasé devant les décisions de Joseph II en Autriche par rapport au clergé),
on aurait évité une énorme crise civile et religieuse en France avec à la clé, les guerres de Vendée et de Bretagne, les déportations massives des prêtres réfractaires, les massacres de septembre et la prise d'otage de la famille royale... Bien sûr les jacobins auraient trouvé autre chose à se mettre sous la dent et les émigrés auraient continué leurs manigances..

Mais le pape reste étrangement silencieux et lent à se décider cette année 1791 quand le roi, les évêques et les ministres lui demandent par son acceptation - au moins provisoire- de la constitution civile du clergé (5 articles lui sont présentés) d'étouffer dans l'oeuf les effets d'un non ...Il s'obstine à refuser et tout s'emballe...
Il pouvait au moins recevoir dignement les pauvres vieilles tantes à Rome, ça ne mangeait pas de pain....

Il est certain que Pie VI a eu une attitude pour le moins assez ambigüe mais j'en parlerais plus loin...

Oui la Révolution aurait probablement pris un aspect beaucoup moins religieux et donc d'intolérance de part et d'autre, bizarrement occulté dans les manuels scolaires.
Louis XVI aurait moins connu de problèmes de conscience. Car c'est ce schisme qui le pousse à fuir.
On voit dans son Testament à quel point ces problèmes religieux le torturent. Et c'est le cas aussi dans la dernière lettre de Marie-Antoinette. Pourtant cette reine est beaucoup moins pieuse que ses prédécesseuses.

L'aristocratie et l'autel, tous les deux combattus se serrent les coudes, s'unissent dans leur lutte, la contre-révolution devenant également une croisade religieuse. Et pourtant combien de jeunes nobles, qui plus tard émigreront n'ont eu jusque-là qu'un très léger vernis de religion, voire même étaient francs-maçons ?

Pourquoi donc Pie VI a accepté le joséphisme et non pas cette constitution civile du clergé ? Il a vraiment mis le feu aux poudres.

Encore une fois la religion détruit tout sur son passage.

Il serait intéressant de lire une bio de Pie VI.

Madame de Chimay a écrit:

Il serait intéressant de lire une bio de Pie VI.

oui, c'est vrai, quoique le personnage ne soit pas très enthousiasmant...
C'est surtout l'influence de Bernis sur le pape qu'il faudrait reprendre !

Je vais en parler chère Cécile mais patience . Je déguste la vie de Mesdames, un peu chaque jour.

Madame de Chimay a écrit:

Je vais en parler chère Cécile mais patience . Je déguste la vie de Mesdames, un peu chaque jour.

of course !!!

"Tandis que Mesdames imploraient le secours du ciel en l'église Saint Louis à Rome, l'empereur Léopold II et le roi de Prusse Frédéric-Guillaume II signaient à Pillnitz , près de Dresde , une déclaration de résistance aux révolutionnaires français, sur l'instigation du Comte d'Artois et des chefs de l'émigration Condé , Calonne et Bouillé.

Cette déclaration de Pillnitz allait déchaîner la fureur des Jacobins contre les émigrés et compromettre le roi, sans aucun profit pour sa cause. Les souverains de l'Europe se montraient au fond peu disposés à agir contre la France révolutionnaire. Le roi d'Espagne Charles IV disait en parlant de Louis XVI : " On ne peut le faire roi malgré lui ! ".Le roi de Prusse restait l'adversaire de la Maison de France. En Russie, Catherine II fera mine d'intervenir, puis finalement restera chez elle. Son successeur , comme celui de l'empereur Léopold II , se montrera plus énergique. William Pitt , en Grande Bretagne, se réjouissait des embarras survenus au roi qui avait porté secours aux révoltés d'Amérique ; l'or anglais circulait en France, favorisant les sectes ennemies de la MOnarchie ou celles qui, sous le couvert du libéralisme, préparaient l'accession au trône de la famille d'Orléans.

A Vienne, l'empereur Léopold II, tout en proclamant bien haut son intention de briser la Révolution , disait à ses intimes : " J'ai une soeur en France , mais la France n'est pas ma soeur ! ". Seul, le généreux Gustave III de Suède manifestait une fougue chevaleresque et se préparait à porter secours à Louis XVI, lorsqu'il périt assassiné, victime d'une conspiration de palais."

"Avant de se séparer , l'Assemblée nationale avait rétabli Louis XVI sur le trône ; et le 1er octobre 1791, l'Assemblée législative commença ses travaux. Les Girondins exigèrent " qu'on frappât les émigrés, coupables d'attentats contre la sûreté de l'état"; tel fut le premier résultat positif de la déclaration de Pillnitz. On ordonna que ceux qui n'auraient pas réintégré le territoire le 1er janvier 1792 seraient passibles de la peine de mort et dépouillés de leurs biens.

La situation financière d'Adélaïde et de Victoire , déjà très précaire;, allait se trouver fortement aggravée par cette mesure. Désormais, il leur faudra emprunter à de lourds intérêts aux banquiers de Gênes, de Venise et de Rome ; car ces hommes d'affaires ne se faisaient guère d'illusions sur le rétablissement prochain de la paix civile en France.(Ils ne seront remboursés qu'à la Restauration ).A Paris, le trésorier des princesses ne pouvait plus exécuter leurs ordres. Bientôt les dettes de Mesdames vont s'accumuler , jusqu'au jour où le Gouvernement autorisera le paiement de ceux de leurs créanciers qui auront donné des preuves de civisme et de dévouement à la cause révolutionnaire. "